Statement at the Iranian Artists' Forum, February 2025

 

« Artist statement » de la vidéo en persan diffusée à la Maison des Artistes de l’Iran à Téhéran à l’occasion de l’exposition « Portraits d’Iran, 2022 » d’Alexandre Arminjon, sous le commissariat de Jamal Arabzadeh

Lien vers la vidéo en persan (vous pouvez activer le sous-titrage dans les options YouTube: https://www.youtube.com/watch?v=XfgsjiLujUs&t=332s

Bonjour à toutes et à tous, je m’appelle Alexandre Arminjon, je suis un photographe franco-suisse de 40 ans qui vit à Paris. J’ai eu la grande chance de pouvoir découvrir votre beau pays à trois occasions, en 2017 et en 2022. En 2017, j’ai voyagé en Iran pour essayer d’impressionner une amie iranienne et j’ai été ébloui par la gentillesse des iraniens, par la beauté des paysages et par la richesse de votre culture. En 2022, je suis retourné en Iran deux fois et j’ai réalisé une série de portraits du peuple iranien que je vous propose aujourd’hui. Les tirages exposés aujourd’hui sont uniques, car ce sont ceux qui ont été exposés il y a deux ans à l’Assemblée nationale française, et comme nous n’avions pas de budget pour l’encadrement, nous avons utilisé du scotch qui a abîmé les tirages. Je les ai réparés avec de la feuille d’or dans la technique japonaise du kentsugi, avec laquelle on utilise les fissures de la porcelaine cassée pour la rendre belle grâce à ces cassures. Ces photos ont été prises en Iran et aujourd’hui je veux les rendre à l’Iran. Je ne veux pas que ces tirages reviennent en France et je les propose en donation pour les collections du Musée d’Art Contemporain de Téhéran.

Ma spécialité en Iran c’est le portrait de rue, c’est à dire photographier les iraniens dans l’espace public de façon très spontanée et très rapide, presque toujours sans rendez-vous; j’abordais les gens et très souvent l’on me demandait si j’étais journaliste. En indiquant que j’étais un artiste qui développait lui-même ses tirages dans la chambre noire, j’ai pu accéder à une connexion plus simple, dépolitisée. Par mes rencontres, j’ai le sentiment que les iraniens sont viscéralement attachés à l’indépendance de la nation iranienne et tous très circonspects sur la question de l’ingérence étrangère. Ainsi, ma pratique d’une photographie artisanale déconnectée des médias occidentaux m’a, je le crois, ouvert des portes.

Trois mots sont importants pour décrire mon approche : honnêteté, simplicité et fraternité. Ce ne sont que des objectifs, des idéaux, et il ne m’appartient pas d’évaluer si je les ai atteint moi-même. Honnêteté, car j’essaye de représenter toutes les différentes classes sociales, les plus riches, les plus pauvres, les plus religieux, les moins religieux, les plus urbains, les plus ruraux, je recherche l’exhaustivité sociologique. Simplicité, car je n’utilise aucun dispositif sophistiqué de prise de vue en studio, aucun maquillage pour embellir les choses. La grande majorité de mes portraits sont le fruit de rencontres très spontanées. Ce qui est le plus important, c’est la connexion visuelle directe et de représenter absolument toutes les catégories sociales iraniennes en leur donnant la même dignité. Fraternité, car pour moi tous les iraniens font partie de la même famille sacrée de l’Iran éternel, au-delà des différences politiques, vestimentaires et religieuses.

La question du dialogue inter-religieux et du respect des traditions iraniennes est fondamentale dans mon approche. Je suis un chrétien qui, comme les musulmans, croit dans les vertus de charité, d’amour du prochain et de condamnation des valeurs matérielles. À Esfahan, des religieux m’ont ouvert les portes de leur école coranique, ils m’ont dit que c’était la première fois qu’ils autorisaient un étranger et je leur suis très reconnaissant pour leur accueil. Depuis longtemps je souhaite faire des photos au sanctuaire de l’Imam Reza à Mashhad, qui pour moi est la ville la plus intéressante pour la photographie en raison du parfait équilibre entre la tradition et la modernité. Peut-être que sans la tradition, la vraie modernité n’est pas possible, et l’Iran est un pays moderne précisément parce qu’il est bien ancré dans la tradition.

En aucun cas je ne revendique une posture d’expert ou de spécialiste de l’Iran, je vous invite à voir dans ces portraits avant tout l’innocence et la simplicité de la connexion visuelle directe. Vous verrez non seulement le visage de certains Iraniens, mais aussi l’attitude qu’ils ont choisi d’adopter face à un photographe étranger, et cela montre de façon évidente que les iraniens accueillent les étrangers à bras ouverts. La photographie argentique en noir et blanc permet d’offrir un témoignage intemporel, et grâce au noir et blanc, on ne retient pas les couleurs qui sont à la mode, mais on voit l’énergie des regards.

Pour finir cette vidéo je souhaite vous parler un peu de la galerie Ithaque que j’ai fondé à Paris en 2020. Dans cette galerie, j’ai exposé plusieurs artistes iraniens et j’ai organisé l’an dernier, en partenariat avec l’association nationale des photographes iraniens, un concours photo sur le thème de l’Eau en Iran pour lequel 200 photographes ont participé. À l’avenir, je souhaite continuer à montrer le talent des photographes iraniens au coeur de Paris, et un jour, j’espère aussi ouvrir Ithaque à Téhéran.

Les premières personnes que je tiens à remercier sont les iraniens qui ont accepté de poser pour moi. Je remercie également très chaleureusement Jamal Arabzadeh, le commissaire de l’exposition, pour son énergie incroyable et son professionalisme.  Je remercie également mon guide et ami Masoud Jaladat qui a été d’une aide très précieuse dans mes voyages, ainsi que ma professeur de persan Neda Tavakoli pour sa détermination et son soutien. Enfin, je remercie les équipes de la Maison des Artistes qui ont rendu possible cette exposition.

Je n’ai pas pu être présent avec vous au vernissage car les délais étaient trop courts pour obtenir le visa. Cependant, puisque je ne peux pas voir vos réactions, je vous propose d’écrire un commentaire dans le livre d’or, cela serait très précieux pour moi. Je vous remercie pour votre attention et j’espère très bientôt pouvoir revenir en Iran continuer mon travail.

 

Alexandre Arminjon

Le 23 janvier 2025